mardi 18 août 2009

Quatre fleurs d'azur


Il existe, sur les bords de la Méditerranée, des jardins s'élevant élégamment sur les hauteurs de la bien nommée Grasse, ville au charme unique, jouissant d'un micro climat qui fait fleurir des sommités que l'on ne pourrait ailleurs cultiver ensemble afin de les accorder dans un même bouquet... Un bouquet délicat, tout en subtilités, et surtout, qui vous surprendra par ses extraordinaires vertus...
Ville de parfumeurs prestigieux, au savoir faire multi centenaire (les plus grandes maisons remontent à l'Epoque des Lumières...), elle compose son accord floral grâce à quatre notes devenues les fleurs emblématiques de la ville que sont , la rose, le jasmin, la tubéreuse et la violette.

Puisque ces quatre fleurs, au delà de leur usage en tant que fragrance, sont connues depuis l'Antiquité du bassin méditerranéen aux confins de l'Asie, j'ai eu envie de vous faire partager les réminiscences d'un court séjour dans ce petit Eden encore préservé, où se perpétue un savoir qui nous invite à redécouvrir chaque fragrance sous un jour nouveau, et, au delà de leur parfum, l'essence même de ces fleurs...


La rose, Rosa Centifolia

La rose est la fleur féminine par excellence. Elle n'est plus tout-à-fait inconnue aux lecteurs de ce blog puisque nous y avons souvent fait allusion. Elle est, avec le jasmin, l'une des principales sommités utilisée dans la pharmacopée ayurvédique. Notamment la Rose centifolia que l'on trouve sur les contreforts de l'Himalaya, où elle pare les grandes vallées couvertes de fleurs du Kashmir. Appelée Taruni en sanskrit, la culture de la rose centifolia s'est sans doute développée dans les vallées de l'Indus et du Kashmir à la faveur l'Empire Moghol, car elle est un symbole extrêmement fort chez les musulmans: les Perses avaient mis au point depuis l'Antiquité des techniques de préparation de la pommade, de l'hydrolat, comme le procédé de fabrication de l'essence de rose pour laquelle il faut compter 5 tonnes de fleurs fraîches. Toujours à la faveur de la présence musulmane, l'Ayurveda a intégré dans ses remèdes une confiserie , le Gulkand ( contraction entre le mot hindi désignant la rose et sa couleur, Gulab, et Kand) préparée à base de pétales de rose macérés au soleil avec une égale quantité de sucre, et qui donne une confiture que l'on peut mélanger au lait, pour une boisson idéale les soirs de canicule (!)

De saveur astringente, douce, et légèrement piquante, la rose est connue pour calmer les inflammations, notamment celles liées aux muqueuses. Pour cette raison, elle est une panacée pour les femmes à tous âges de leur vie car elle protège, équilibre et répare les tissus fragiles du système reproducteur. Elle agit principalement sur le sang qu'elle nettoie et rafraichit: ainsi, elle prévient les excès de chaleur, prévient les saignements, calme les irritations. Elle peut s'utiliser en infusion, ou encore sous forme de macération, permettant de l'utiliser en lotion pour la peau, qu'elle calme, nettoie et hydrate. Les boutons de rose appliqués sur les yeux sont conseillés en cas d'irritations ou de fatigue oculaire: faîtes le test en apposant tout simplement deux cotons d'eau de rose sur les yeux après une journée trépidante, "soothing effect" garanti!

Symbole de la pureté du coeur, la rose est souveraine pour apaiser ou guérir les blessures liées à cet organe, comme au centre énergétique qui lui est lié. Il faudrait lui consacrer bien plus d'un paragraphe, et il est certain que nous aurons l'occasion de la cueillir à nouveau!


Le Jasmin, Jasminum Grandiflorum

Il existe plusieurs variétés de jasmin. Nous évoquerons ici uniquement le Jasmin à grandes feuilles, que l'on appelle aussi, en botanique, Jasmin de Grasse, appartenant à la famille des Oléacées (indiquant son affinité avec le climat méditerrannéen), très répandu en Afrique du Nord, au Moyen Orient, comme dans les états du Sud de l'Inde, où il vient fleurir avec grâce la chevelure des femmes.

Comme d'autres sommités blanches, le Jasmin a un effet rafraîchissant et apaisant sur l'organisme. Il a également une action bénéfique sur le sang, qu'il nettoie, et plus spécifiquement sur le système lymphatique, garant de l'immunité. Pour cette raison, le jasmin (dont la fleur est désigné sous le nom de Mogra ou de Chameli en hindi, en sanskrit Jati, désignant la variété dont il est question) est utilisé en Inde pour traiter les infections virales, les fièvres bactériennes ou endémiques. Mais attention, on ne doit jamais faire bouillir les fleurs lors d'une décoction, mais les laisser infuser, comme on le fait pour le thé au jasmin, avec de l'eau chaude, ou de l'eau froide.

En usage externe, le jasmin peut servir de cataplasme pour les irritations. De même, son huile sert à fortifier et intensifier le reflet brun des chevelures des indiennes. Le jasmin aurait une influence positive sur nos émotions, facilitant l'ouverture et la réceptivité des sens. Comme la rose, le jasmin est de nature sattvique, accroissant la compassion. Cependant, à la différence de la rose, le jasmin cultive un paradoxe, qui fait son charme et son mystère: sa fraîcheur exhale des notes à la fois suaves et chaudes, qui stimulent les sens et le rendent aphrodisiaque...

A Grasse, il est fêté annuellement dans une parade où les attendants sont généreusement aspergés de fragrances jasminées, et il flotte dans l'air une enivrante et délicate subtilité. Les essences ou attar que l'on peut trouver en Inde font souvent ressortir l'aspect sucré de la fleur Peu de parfums offrent une senteur qui soit authentique. L'un des accords les plus originaux et mystérieux ayant été élaboré par Guerlain avec Samsara. Et comme on le sait, notre équilibre est tout entier modelé par les perceptions sensorielles, dont olfactives: le choix d'une fragrance, c'est aussi et d'abord prendre soin de soi...


La Tubéreuse, Polianthes Tuberosa

Cette corolle fraîche, craquante, est une agavacée originaire du Mexique, qui ne fut introduite qu'après la Renaissance en Europe et en Asie. Elle fut longtemps cultivée en abondance à Grasse, mais c'est aujourd'hui en Inde que l'on trouve les principales plantations, auxquelles les parfumeurs ont désormais recours. Joliment nommée Reine de la nuit (Rat Ki Rani) en hindi, en raison de son parfum capiteux, c'est à la nuit tombée que les marchands de fleurs confectionnent avec les corolles fragiles des tubéreuses des guirlandes destinées à orner les temples ou être offertes lors des poojas. Elles laissent dans l'atmosphère une empreinte suave aussi délicieuse que mystérieuse, qui perdure durant plus de 48 heures, et qui incommoderait les femmes enceintes. On en prémunissait également les jeunes filles, comme en Italie, où l'on interdisait aux jeunes filles de se promener le soir dans les jardins où poussait la tubéreuse, car elles n'auraient pas su résister aux jeunes gens grisés par son parfum érotique. La tubéreuse est l'une des principales composantes du parfum Poison de Christian Dior...

Cependant, cette fleur délicate est difficile à utiliser comme d'autres fleurs ou plantes sous forme séchée. On la trouve principalement sous forme d'attar (parfum huileux), sous le nom anglais de Night Queen. On lui attribuerait un pouvoir d'inspiration (elle stimulerait l'hémisphère droit du cerveau, lié à la créativité), ainsi que celui d'apporter au coeur la sérénité.


La Violette, Viola Odorata

Cette petite fleur semblable à la pensée, reconnaissables à leur couleur, comme à la disposition de leur pétales, était connue des Grecs et des médecins arabes. Les Anciens avaient commencé à élaborer à partir de ses fleurs un sirop aux propriétés émollientes et adoucissantes (dont on retrouve les traces en France sous la forme des pastilles de l'Abbaye des Sept Fonds). On la trouve sur les sols calcaires, en Europe, comme dans l'ensemble du Maghreb.

Si aujourd'hui la violette est davantage utilisée pour le plaisir procuré par son parfum délicat et sucré, que ce soit pour l'usage culinaire ou en parfumerie, ses pétales possèdent néanmoins des propriétés émollientes, adoucissante, et anti inflammatoire. Sainte Hildegarde de Bingen, monesse et médecin utilisatrice éclairée des plantes, avait conçu un onguent à la violette permettant de traiter diverses affections, dont celles de la peau, ainsi que les migraines. La pommade à la violette serait quant à elle idéale contre les gerçures.


Quelques recettes...


Gulkand pour débutants ou pressés

Prendre 80 g de pétales frais débarassés de leur base broyés avec 200 g de sucre, 20 g de miel et 20 ml d'eau de rose distillée. Cuire légèrement le mélange et le mettre en bocal.

Prendre 5 cc de ce mélange le soir avec de l'eau chaude ou du lait: en cas de constipation passagère, acidité gastrique, maux de tête ou autres affections liées à un excès de chaleur (externe ou interne).

Cette recette est à peu près équivalente au Gulkand, et plus facile à réaliser, car la macération demande un ensoleillement continu durant plusieurs mois pour la fabrication.


Source: Plantes médicinales du Maghreb de Jamal Bellakhdar


Onguent à la violette, d'après Hildegarde de Bingen

Presser suffisamment de fleurs de violette pour recueillir 5 à 6 cl de jus. Filtrer dans un linge. Ajouter 2 cl d’huile d’olive. Dans une casserole maillée, à feu très doux, faire fondre 20 g de cire d’abeille. Pour encore plus d’efficacité, ajouter 10 gouttes d’HE de lavande ou de romarin. Verser progressivement l’émulsion huile-jus dans la cire en tournant régulièrement avec un cuillère en bois. Verser dans un pot de verre. Continuer à remuer jusqu’au refroidissement.

Appliquer sur les front contre les maux de tête. Utiliser contre les problèmes cutanés.

Source Label Bleu, Paul Ferris