Au concept devenu une effroyable réalité pour la santé de nos organismes dans l'espace monde, se substitue, tout doucement, mais sûrement, un retour aux sources, ou plutôt aux ressources comestibles hors des autoroutes de la malbouffe: à savoir, le slow food, qui vient, peu à peu, proposer une alternative inespérée au fast food. Pour exemple, je souhaite partager avec vous une journée de cours et de dégustation de la "Cuisine des plantes sauvages" de Meret Bissegger à la Casa Merogosto, dans le petit village de Biasca, au plein coeur du Tessin.
La cuisine des plantes sauvages, ou le temps retrouvé
Cuisiner, c'est prendre le temps, avant même de se mettre aux fourneaux, de choisir ses produits. Lorsque l'on parle de ressource sauvage, alors le temps peut à nouveau toucher à l'éternité, car l'on s'aventure à nouveau dans la nature, au hasard de ce que l'on pourra récolter en chemin. C'est tout le concept du "slow food", auquel travaille, depuis plus de trente ans, Meret Bissegger, qui ouvre chaque week end les portes de sa maison, la Casa Merogusto, où les convives (en général une vingtaine pour chaque repas) sont invités à réaliser en partie quelques recettes et apprendre comment sont intégrés les plantes sauvages que Meret récolte, soit dans la nature, soit directement dans son jardin, où ce que bien des jardiniers traitent comme de la mauvaise herbe, poussent en compagnie de légumes anciens.
"Buono, pulito, e giusto", ("Savoureux, sain, et équitable"), voici ce qui pourrait définir cette expérience écologico-culinaire, qui est, avant tout, je vous le dis sincèrement, un grand plaisir pour les papilles!
Pour cuisiner avec les plantes sauvages, il vous faut, obligatoirement:
- aimer marcher dans la nature, ou à la limite, avoir envie de laisser votre jardin devenir une petite jungle pour la belle saison - avoir envie de découvrir des plantes que vous ne connaissez pas, apprendre à les reconnaître à coup sûr, et à vous les rendre tellement familières que vous les intégrerez comme le persil ou le basilic à la plupart de vos recettes - ne pas avoir un estomac trop vorace ou impatient, car cuisiner avec les plantes, cela prend du temps, sans jamais vous faire l'effet du jambon beurre (même après une heure et demi de dégustation, les papilles continuent à saliver et votre estomac est prêt à faire la fête à bien d'autres plats)
Quelles plantes utiliser?
Vous serez sans doute surpris de savoir que vous possédez tout près de chez vous, ou dans otre jardin, des trésors pour la cuisine. Ainsi, du pissenlit aux orties, l'ail des ours, en passant par le chénopode blanc qui pousse dans à peu près toutes les régions cultivables, sans parler de toutes les variétés sauvages des espèces domestiquées comme la ciboulette, les asperges, le cresson, la blette... nous avons d'ores et déjà de quoi composer.
Aux herbes et aux feuilles, il y a bien sûr les fleurs: les chinois, comme les italiens, ont bien plus l'habitude que nous de les intégrer à leur alimentation, notamment les Lys oranges, dont le bulbe conjugue suavité et craquant. Mais il existe bien d'autres espèces comestibles, dont les pâquerettes, les primevères, la fleur de trèfle, les violettes, le miosotis, la bourrache, ou encore l'accacia... Le mieux, bien sûr, étant de potasser un peu le guide de la flore de notre région, afin de ne pas faire de gros impairs avec certaines espèces toxiques, comme la digitale, par exemple.
A cela viennent s'ajouter d'autres variétés comestibles, plus inattendues: dans la région du Tessin, vallée au sortir des Alpes, il existe beaucoup de conifères, dont l'épicéa, dont on récolte les jeunes pousses, au printemps, offrant aux recettes leur croquant, une légère astringence relevée d'un petit goût citronné (entre autres, Meret propose d'en cuisiner les pousses avec des carottes en rondelle revenues avec de l'huile d'olive et servies avec du miel de conifère).
Il existe en réalité tellement d'espèces comestibles, et faciles à trouver, que l'on pourrait se demander si cela vaut encore la peine de passer du temps au supermarché. L'autre grand avantage de la ressource sauvage, hors ses qualités gustatives, est sa richesse en minéraux et acides aminés.
A la table de Meret
Voici un aperçu du menu estival...
Parmi les amuses bouche: légumes anciens croquants avec leurs 3 sauces blanche, rouge et orange, associant crèmes de légumes cuits, épices douces et plantes, la betterave jaune, la rave bicolore à déguster avec une sauce au céleri et cresson sauvage, ou encore des rondelles de courgette relevée d'une sauce au chénopode et amaranthe sauvage.
Les Anti pasti ou entrée, au total, un buffet de 10 plats différents dont: un carpaccio de choux rave au basilic, salade exotique au chou blanc, crevettes, galanga, gingembre et citronnelle, betteraves jaunes et radis blanc sauce aux amandes, des côtes de bettes rouges aux anchois, aubergines aux câpres et à la marjolaine, patates bleues à l'égopode (ou herbe aux goutteux) et à l'huile de noisette à l'ancienne, terrine de pariétaire (une plante alpine), salade de concombre, de pousses tendres d'épeautre germé, yahourt parsemé de fleurs de bourrache...
Les plats: un risotto noir aux légumes d'été, ognons rouges braisés et "scamorza fumé" (un fromage suisse typique de cette région), puis une préparation de boeuf des Highland cuites dans un poivron doux sauce aux petits pois et à la menthe, accompagné d'une croquette de patate au galinsoga (espèce originaire d'Amérique du sud, qui pousse aujourd'hui un peu partout en Europe).
Enfin, le dessert: panna cotta au sirop de violette maison, fruits des bois et tarte à la rhubarbe.
Voilà un petit aperçu de tout ce qu'on peut faire de bon avec un peu de "mauvaise graine" (!), un brin d'inspiration, et un soupçon de lenteur...
Meret Bissegger, Ma cuisine des plantes sauvages, Editions Cassagrande (existe en allemand et en italien seulement)
Visite de la Casa Meragusto